“Le bien-être des enfants dépend beaucoup de l’action des ONGs”

La Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CIDE) a été adoptée en 1989.Le travail des ONGs tient un rôle primordial dans les améliorations des conditions de vie des enfants, estime Philipp Jaffé, professeur au Centre interfacultaire en droits de l'enfant de Genève et membre du Comité international de droits de l’enfant. 

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22 juin 2022
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Dans quels domaines la CIDE a-t-elle fait avancer la cause des enfants ces trente dernières années? 

Philipp Jaffé: Il y a eu des avancées extraordinaires. Les taux de vaccination, mais aussi d’enregistrement à la naissance ont augmenté de manière spectaculaire dans de nombreux pays: beaucoup d’enfants qui n’auraient pas eu d’identité se sont retrouvés inclus. Le taux de scolarisation primaire a été exponentiel, surtout pour les filles. A aucune autre époque nous n’avons fait autant attention aux enfants, à leurs besoins et aux violations de leurs droits. Même sans y répondre de manière suffisante, les adultes sont au moins conscients de ce que les plus jeunes vivent. 

 

Alors que la CIDE a été signée par 196 pays, la traite des enfants, l’enrôlement armé, les mariages forcés ou encore l’excision persistent. Pourquoi? 

Avoir une Convention ne signifie pas que les dispositions de celles-ci sont appliquées de manière totale ou adéquate par de nombreux pays. Dans ceux qui ont connu des implosions socio-politiques (Afghanistan, Yémen ou Syrie), même avec de la bonne volonté, il n’y a pas grand-chose à faire. Certains pays pauvres ont la volonté mais pas assez de soutiens financiers et de coopération internationale. Si vous avez des classes de cent élèves comme au Mali, il est clair que ces enfants-là ne reçoivent pas une éducation adéquate. Des régimes corrompus, qui disent suivre la Convention, ne le font pas. Même certains pays riches sont de plus ou moins bons élèves. La solidarité internationale est primordiale. Il faut que le secteur des ONGs pousse les Etats à tenir leurs engagements. Le bien-être des enfants dépend de la densité et de la liberté des ONGs d’opérer sur un territoire donné. Même en Suisse, efficace sur le plan administratif, s’il n’y avait pas d’ONGs, les enfants seraient plus mal lotis. Un gouvernement fonctionnel ne suffit pas, il faut aussi un terreau social, une mobilisation citoyenne. C’est un travail de longue haleine. 

 

Comment la société civile peut-elle œuvrer à plus de justice pour les enfants du Sud? 

Beaucoup d’espoirs passent par une meilleure coordination de la société civile et par une plus grande collaboration avec des autorités politiques saines. Chaque ONG ne doit pas tirer à sa propre corde, il s’agit de trouver des convergences. On commence à voir des coalitions intelligentes entre grandes ONGs ; c’est le futur de leur efficacité. Et puis, l’avenir appartient à ce que nos enfants en feront. Ils seront des acteurs importants. Le droit à l’expression est un beau cadeau qu’on leur fait, encore faut-il respecter ce qu’ils disent et former les adultes à bien les écouter… et surtout agir sur la base de leurs opinions ! 

 

Quels sont les plus grands défis en matière de protection des enfants en Europe? 

Les principaux sont la crise climatique et le monde numérique. Ces deux données sont le fruit de nos dérapages, pour le premier, et de notre innovation technologique, pour le second. Mais ce sont nos enfants qui devront les gérer au mieux. On oublie aussi souvent la violence endémique à l’égard des enfants, même dans les pays riches du Nord: 20% des filles sont victimes d’abus sexuels. Ayons l’honnêteté de regarder cette réalité en face. Autre défi important, celui du vivre-ensemble: on constate des tensions communautaristes, religieuses, régionalistes. Tout cela se répercute sur les enfants, qui les absorbent. Je suis inquiet de la montée de l’extrême droite, des mouvements d’extrême gauche, de la radicalisation. Une sorte de «quiétude sociale» d’après-guerre est en train de s’effriter. Le vivre-ensemble, c’est aussi la gestion des migrations. Ces brassages de populations, c’est la réalité du monde moderne. Si on n’arrive pas à les gérer intelligemment, les tensions seront encore plus grandes dans dix ans et elles se répercuteront sur les personnes les plus vulnérables, dont les enfants. Alors tolérance, intégration, solidarité! 

 

Médecin polonais et directeur d’un orphelinat, Janusz Korczak a posé les jalons des droits de l’enfant. Il a même accompagné les orphelins juifs du ghetto jusque dans la mort. Que vous évoque cette figure historique? 

Si aujourd’hui, on avait une personnalité de la moitié de sa stature, le monde serait différent! La cause des enfants a une marraine, Eglantyne Jebb (fondatrice de Save the Children) et un parrain, Janusz Korczak: l’un et l’autre nous ont permis de voir l’enfant différemment. Korczak disait:

«On ne s’abaisse pas pour interagir avec un enfant, c’est lui qui nous élève».

Les personnes capables de réaliser cela pour la conscience collective sont rares. Il a innové en faisant participer les enfants à la gestion de l’orphelinat, il a été le premier à proposer des émissions radio pour enfants, il est l’auteur de belles pièces de théâtre pour enfants. Et il est mort avec eux. Tristement, le dernier survivant de ses orphelinats est décédé récemment. 

 

Propos recueillis par Sandrine Roulet pour le magazine ‘Vivre son enfance de plein droit’.

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