René Longet : « Le temps de la consommation insouciante est terminé »

Nous entendons parler de la raréfaction des ressources naturelles et de la nécessité de les protéger. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

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15 janvier 2024
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Nous entendons parler de la raréfaction des ressources naturelles et de la nécessité de les protéger. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Peut-on atteindre une exploitation responsable de nos ressources, qui assure leur disponibilité en suffisance au niveau mondial ? L’expert en durabilité René Longet répond à nos questions.

 

De quoi est-il question exactement lorsque nous parlons de ressources naturelles ?
Les ressources naturelles sont ce que la nature produit et nous fournit : de l’air pour respirer, de l’eau pour boire, du sol pour bâtir et cultiver, des éléments métalliques, des roches et du sable pour servir à nos besoins, des plantes et des animaux. Certaines de ces ressources sont renouvelables, comme la végétation, les animaux ou l’eau si nous respectons leurs conditions de renouvellement (par exemple ne pas pêcher, chasser et cueillir plus qu’il ne s’en régénère, ou prendre soin du cycle de l’eau). A l’inverse, si nous ne les respectons pas, en déboisant la forêt tropicale, en surexploitant les réserves d’eau ou en détruisant les sols, les dommages peuvent être irréversibles. D’autres ressources ne se reproduisent qu’à l’échelle géologique, comme les concentrations métalliques exploitables. Là, il n’y a pas d’alternative à la récupération, au recyclage et au réemploi des objets et de la matière dont ils sont faits ; c’est ce qu’on appelle l’économie circulaire.

 

Quelle est la cause de la raréfaction des ressources ?
La première observation est que les ressources sont inégalement réparties sur Terre. La seconde observation est qu’elles ne sont pas illimitées ; même le recyclage a ses limites et il y aura toujours des pertes… L’espèce humaine surexploite les ressources depuis les années 1970 ; des systèmes d’indicateurs ont été développés, comme la notion d’empreinte écologique, qui définit la part que chaque territoire peut utiliser en termes de ressources globales. Il en ressort qu’en moyenne les pays industrialisés consomment trois fois plus que leur juste part. Il y a un vrai besoin d’aller vers l’économie circulaire et une certaine autosuffisance des territoires. Le temps de la consommation insouciante est terminé.

 

L’espèce humaine est donc responsable…
Aujourd’hui, un libre marché confronte des produits obtenus dans le respect de règles environnementales et sociales et d’autres qui n’ont pas ces caractéristiques. Vouloir tout acheter au meilleur prix se paie très cher plus tard. Ainsi, on savait faire des panneaux solaires en Europe dans les années 1980 puis tout a été démantelé au profit d’une production moins chère en Chine… Les surplus de l’agriculture industrielle sont exportés en Afrique où ils concurrencent la production indigène et écrasent les ressources locales, pourtant mieux adaptées aux conditions des pays concernés, mis dès lors sous une dépendance dangereuse.

 

Présentation:
René Longet s’engage sur les enjeux énergétiques, agro-alimentaires, de la coopération au développement, de la biodiversité et de l’économie sociale et solidaire, pour le vivre ensemble et la transition vers la durabilité. Il a été membre de la délégation suisse aux Sommets mondiaux du développement durable en 1992, 2002 et 2012. Il a exercé des responsabilités au sein d’ONGs et des mandats d’accompagnement de collectivités publiques, et a été élu au niveau parlementaire et au sein d’un exécutif municipal. Il est auteur de nombreuses publications dont « Un plan de survie pour l’humanité », paru aux Editions Jouvence en automne 2020. Il s’engage au sein de nombreuses commissions, conseils et comités pour une planète viable et vivable.

 

 

Quelles sont les conséquences pour les plus vulnérables ?
L’accès aux ressources étant avant tout une question financière, la répartition des moyens et dès lors la pauvreté s’exprime par un accès plus difficile aux besoins de base ; si les ressources sont fragilisées, elles se raréfient. Les impacts de la fragilisation des sols, des cycles de l’eau, du climat, sont ainsi particulièrement forts pour les pauvres. Le dérèglement climatique a un effet très négatif sur les sols, la végétation et le cycle de l’eau, et donc sur l’agriculture. La déforestation accélère ces interactions négatives en entravant le cycle de l’eau (moins d’évapo-transpiration végétale, moins de capacité de production agricole) et des spirales négatives se mettent en place. On peut observer cela dans des pays comme Haïti ou Madagascar, aux écosystèmes très affaiblis et qui ne parviennent plus à nourrir leur population, poussée par la grande pauvreté à couper les derniers arbres avant de venir grossir les taudis des villes, dans une grande précarité.

 

En théorie, la planète bénéficie-t-elle d’assez de ressources pour permettre à tous d’en disposer en suffisance ?
Cela dépend de la manière dont nous gérons ces ressources. Depuis de nombreuses années, notre société est bâtie sur le principe implicite que chaque personne peut se procurer ce qu’elle souhaite si elle en a les moyens financiers. Si bien que les ressources sont achetées par ceux qui le peuvent, indépendamment des besoins de l’ensemble. Pour assurer une qualité de vie acceptable pour tous sur cette Terre, il faudrait vraiment que ceux qui ont davantage que le nécessaire acceptent de consommer moins de ressources, pour qu’il en reste pour les autres : une éthique élémentaire. Sachant que pour moins consommer, on doit associer le comportemental (vivre plus sobrement) et la technique (utiliser les ressources de manière plus efficiente, lutter contre le gaspillage).

 

Vous pouvez écouter l’interview de RadioR à propos du livre de René Longet « Un plan de survie de l’humanité » qui analyse les 17 objectifs de développement durable de l’ONU, proposant un aperçu des thématiques du monde de demain et un état des lieux des approches visant à lever les obstacles pour atteindre ces objectifs.

 

Les solutions globales doivent donc être communes ?Le fait que les ressources soient inégalement réparties sur Terre constitue un facteur clé qui oblige à trouver des formes de coopération entre pays. Logiquement, on devrait partir de l’inventaire de ce que nous avons à disposition ; sols, couvert végétal, eau, climat, atmosphère, matières minérales et énergétiques. Il faudrait pouvoir se mettre d’accord sur une gestion prudente et pérenne des ressources : économiser l’eau et la recycler au lieu de forer des puits toujours plus profonds et vider les nappes phréatiques, ne pas surexploiter les espèces animales et végétales, gérer durablement les forêts, ménager la fertilité des sols, recycler les métaux, etc. Malheureusement, il manque cruellement dans de nombreux pays de pouvoirs publics capables et désireux d’agir pour le bien commun, qui réguleraient l’exploitation des ressources et l’accès à ceux-ci, pour éviter que le seul critère d’attribution soit la loi du plus fort. On en est loin…

 

« Vouloir tout acheter au meilleur prix se paie très cher plus tard. »

 

Comment pouvons-nous inverser la tendance ?
Le développement économique reste très inégal sur Terre et une exploitation et gestion selon les enjeux écologiques et sociaux, sous ce qu’on appelle désormais un développement durable est certes aujourd’hui une ambition largement partagée.  Mais cela ne se réalisera que si on ajoute aux objectifs de rentabilité économique des objectifs de « rentabilité » écologique et sociale, matérialisée par la notion de juste prix payé tout au long de la chaîne de valeur. Le commerce équitable en est une préfiguration, l’agroécologie et l’économie circulaire aussi. Nous devons aussi mettre en place une vision du développement qui ne soit pas réduite à l’accumulation matérielle: il s’agit d’assurer les besoins de base pour tout le monde, mais sortir de la course au superflu qui se fait au détriment des démunis et des générations à venir, message essentiel de la durabilité.

 

Comment peut-on agir à l’échelle individuelle ?
S’engager pour une vision de l‘économie qui associe la valeur financière et économique et les valeurs écologiques et sociales, inscrire l’économie dans ce qui la rend possible, soit le respect des limites des viabilités planétaires et dans ce qui la légitime, à savoir une hiérarchie des besoins. Montrer l’exemple en tant que consommateur et faire bon accueil aux produits de qualité durable, accepter de payer le juste prix des choses… se conduire, chacun.e en fonction de ses possibilités et besoins, en habitant.e responsable de cette Planète qui nous a été confiée pour en faire un jardin et non un désert !

 

Propos recueillis par Joëlle Misson-Tille

 

Cet article se trouve dans le dernier magazine de StopPauvreté “Vivre pleinement avec moins”

Vous pouvez le commander gratuitement, pour vous et vos proches.

 

 

 

 

 

 

 

 

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