Jour après jour, nous courons. Vingt-quatre heures ne semblent pas suffire pour venir à bout de nos obligations et envies. Pistes de réflexion pour revoir le rapport que nous entretenons avec le temps qui passe.
« Plus on essaie de posséder le temps, plus il nous tyrannise. On voudrait être son maître et c’est lui qui nous malmène. Nous passons notre temps à en manquer… pour nous reposer, nous poser, réfléchir », écrit la professeure de psychologie et de sociologie Nicole Aubert dans son ouvrage Le culte de l’urgence : la société malade du temps (Flammarion, 2004). L’urgence est devenue le mode de temporalité dominant en Occident, pour répondre aux exigences d’une économie avide de performance et de rentabilité. Et cela a des conséquences.
L’urgence affecte nos relations
Le sociologue Richard Sennet estime que l’immédiateté et l’instantanéité nous placent dans l’impossibilité de vivre des valeurs de long terme, telles que la fidélité, l’engagement, la loyauté. Michel Sommer, théologien et enseignant au centre de formation du Bienenberg, abonde : « Nous risquons de transformer tout lien en relation d’efficacité. En conséquence, nous ne prenons pas le temps de l’écoute de l’autre, car écouter vraiment prend du temps. » Envers nous-mêmes, nous en arrivons à devenir hyper exigeants. « Mais la tendance inverse existe. Face à cette pression, on procrastine, comme un refus de se soumettre au diktat de l’urgence. » Dans les Églises, la consommation du temps peut s’accompagner d’une spiritualité de la performance ; Dieu devient un divertissement qui demande d’expérimenter des sensations de plus en plus fortes.
Refonder son identité dans le relationnel
Le monde aspire aujourd’hui à un temps autre que l’urgence, un temps qui permette la mise à distance. Mais comment y parvenir ? L’économiste américain Gary Becker (1930-2014) a montré que notre satisfaction dépendait en grande partie de la combinaison entre le coût d’un bien et ce qu’il nous coûte en temps. Car notre gestion du temps est intrinsèquement liée à notre consommation ; consommer requiert du temps, mais aussi de l’argent, et donc des journées de labeur pour le gagner. « L’état d’esprit consumériste dans lequel nous vivons implique que le temps devient un “objet” à remplir le plus possible. Même les moments de repos en sont impactés. On peine à vivre la gratuité d’un moment ou d’une relation », observe Michel Sommer.
Dans une interview accordée à Radio R, l’écothéologien Michel-Maxime Egger appelle à ouvrir un chemin vers ce qu’il nomme la sobriété heureuse, qu’il résume ainsi : moins de biens, plus de liens. Retrouver le sens du temps nécessite non seulement de revoir son agenda, mais aussi de réorienter ses achats. Parvenir à cette sobriété ne s’apparente pas forcément à une restriction. « S’il y a une forme de renoncement, c’est pour créer de l’espace pour autre chose. Il est important de refonder notre identité dans le relationnel avec soi, les autres et Dieu », poursuit-il.
Créer une alternance
Michel Sommer encourage à créer du rythme et une alternance dans les semaines, les mois, l’année, sur le modèle du sabbat. Autrement dit, aménager des moments en décalage avec les temps d’activité. Il encourage vivement à ralentir, au quotidien si l’on y arrive, ou tout au moins durant les vacances. « Avec mon épouse, nous marchons depuis des années sur le Chemin d’Assise. Marcher pendant 6 heures ce que l’on pourrait avaler en une demi-heure de voiture, cela change le rapport au temps, à la mobilité, aux paysages, à l’effort et à la consommation », conclut-il.
Rédaction : Joëlle Misson-Tille
Photo : Andy Beales sur Unsplash