Avec le thème choisi cette année, voulez-vous sensibiliser les chrétiens à la nécessité d’une décroissance ?
De mon point de vue, la décroissance, c’est simplement regarder la réalité en face. En Suisse, nous consommons 12 tonnes d’équivalent CO2 par personne, en France environ 9 tonnes. Pour que notre mode de vie soit soutenable pour la planète et tous ses habitants, nous devrions être entre 2 et 4 tonnes. La décroissance, c’est avancer dans la réalité et non dans des illusions qui nous mènent à vivre collectivement d’une manière destructrice. Détox La Terre souhaite faire avancer la réflexion et la pratique écologique des chrétiens en prenant conscience des impacts de nos modes de consommation sur notre environnement et nos prochains.
La décroissance, dans son appel à renoncer à une croissance économique illimitée, peut-elle être vue comme une réponse chrétienne à la tentation du matérialisme ?
Entrer dans cette démarche nous met effectivement en lien avec une dimension moins matérialiste. Mais il ne s’agit pas non plus d’être dans un extrême antimatérialisme. La matière est bonne et la bénédiction, dans l’Ancien Testament, se manifeste aussi par des choses matérielles. La perspective d’être toujours dans le moins est triste à mon sens. C’est pourquoi nous voulons aussi, à l’inverse, nous questionner sur ce qui peut croître, et avoir une vision qui fait envie et provoque de la joie. Mais sans jouer la carte hyperspiritualiste non plus ; lorsque la dimension intérieure de connexion à Dieu, le salut et l’au-delà sont quasi exclusivement mis en avant, cela risque de créer un déséquilibre où nous tenons moins compte du fait que nous sommes des êtres corporels dans un monde limité, et que nos actions ont un impact sur les autres. Être connecté au réel est une attitude humaine et aussi chrétienne.
Comment entrer dans une démarche de décroissance nous permet-il de prendre davantage soin des autres et de la planète ?
Dans la vision chrétienne, la justice et l’amour du prochain sont centraux. Une vision hypermatérialiste du monde est un rêve qui est hors limites terrestres. Si on essaie de vivre de cette manière-là, nous détruisons le vivant et prenons une part des ressources de la Terre à notre prochain. Les chrétiens doivent se connecter à cette dimension de la justice. Lorsque nous avons un gâteau limité à partager, nous partageons les tranches de manière à ce que chacun ait une part équivalente. C’est pareil concernant les ressources terrestres. La croissance infinie ne serait pas un problème dans un monde sans limites. Or, la Terre n’est pas un tel endroit et ne pas en tenir compte c’est aller droit dans le mur. Si nous restons dans une vision du monde qui n’a aucune limite, nous ferons des choix qui ne tiennent pas compte de la réalité et qui accentueront les inégalités. Et certains auront des parts encore plus petites qu’aujourd’hui.
Tout cela appelle à des transformations profondes de la société…
Nous avons vécu durant quelques décennies avec une vision du monde sans limites, et aujourd’hui on nous dit : ce n’est pas vrai, notre planète est limitée. C’est une réalité qui ennuie tout le monde. Cela induit forcément une dimension de deuil collectif, par rapport à l’histoire que l’on s’était racontée. Notre vision du monde, qui n’est pas en adéquation avec la réalité, doit mourir. Notre consommation énergétique et matérielle n’est pas soutenable, c’est un fait. Mais il ne s’agit pas de remplacer une croissance infinie par une décroissance illimitée ni de diminuer pour le plaisir de diminuer. La décroissance doit permettre d’atteindre un nouvel équilibre pour laisser la place à d’autres choses de naître. Il y a donc la souffrance de ce qui meurt, mais également la joie de ce qui émergera.
Et qu’est-ce qui peut en émerger ?
Plutôt que d’amener une réponse toute faite à cette question, j’invite chacun à se poser cette question pour soi-même, ou en communauté : qu’est-ce que nous avons envie de voir croître dans nos vies ? De nombreux textes bibliques parlent de croissance au travers de graines qui poussent, et d’arbres qui donnent du fruit. Nous sommes des êtres de croissance. La question est : qu’est-ce qui peut croître dans notre contexte, à savoir sur une Terre qui a des limites. C’est à chacune et chacun de faire vivre cela. Plus de temps, pour se connecter à soi, aux autres, à Dieu ? Y a-t-il une limite à l’amour que nous donnons, recevons et partageons ? Veut-on plus d’intelligence, de connaissance, de sagesse ? Qu’est-ce que nous voulons voir davantage dans notre vie ? C’est une question très inspirante quand nous nous la posons vraiment. L’intérêt de la démarche de Détox la Terre est que les gens fassent un choix personnel de détox de consommation, et qu’ils vivent quelque chose qu’ils gardent ensuite et qui contribue à transformer leur vision du monde et leurs pratiques de manière durable, en tenant davantage compte des limites planétaires.
Un programme à vivre ensemble
Détox la Terre se déroulera du 5 mars au 17 avril. Le programme propose à chacun de choisir un ou plusieurs aspects de sa consommation qu’il aimerait vivre différemment pendant 40 jours, trois rencontres à prévoir avec son groupe avec des animations clés en main autour de la foi et de l’écologie, et une célébration œcuménique à Lausanne le 16 mars à 17 heures. Infos et inscriptions sur le site de Detox’ la Terre.
Propos recueillis par Joelle Tille, collaboratrice StopPauvreté
Cet article est publié conjointement sur notre site et dans le magazine Christianisme Aujourd’hui