Sur quels sujets a porté l’étude ?
L’étude Justice et Durabilité a porté sur cinq thèmes principaux : les attitudes et comportements des chrétiens et chrétiennes en matière de justice sociale et de durabilité écologique, les Objectifs de développement durable, le rôle que la justice et la durabilité jouent dans les Églises et le lien entre l’engagement et la compréhension théologique de ces thèmes. Ces deux derniers points sont les plus importants et ceux qui rendent l’étude unique : le lien entre justice et durabilité et les hypothèses théologiques ainsi que la pratique de la foi. La question qui nous a guidés était la suivante : la foi fait-elle une différence ? Et là, nous pouvons clairement le dire : oui !
Que montrent les résultats ?
Que les plus de 2500 chrétiens interrogés sont plus « verts » qu’on ne le pense. 90,8 % des personnes interrogées en Suisse alémanique ont indiqué qu’elles étaient plutôt ou tout à fait d’accord avec l’affirmation suivante : « la justice sociale est un thème fondamental du message chrétien ». Et plus de 90,2 % des personnes interrogées en Suisse romande sont plutôt ou tout à fait d’accord avec l’affirmation : « je ressens un lien profond avec la nature ». Ce constat se retrouve dans l’ensemble des résultats : les thèmes de la justice et de la durabilité sont importants pour les chrétiens interrogés. En collaboration avec l’institut Sinus, nous avons aussi pu déterminer avec précision qui a été atteint par l’étude. Et à notre grande surprise, nous n’avons pas seulement atteint les milieux socioécologiques ou ceux qui s’intéressent déjà à la durabilité, mais surtout les milieux conservateurs. Les résultats sont donc d’autant plus éloquents.
Qu’est-ce que cela signifie pour les Églises ?
Les résultats sont encourageants, car ils montrent que les thèmes de la justice sociale et de la durabilité écologique sont déjà au cœur de nos Églises ; ils ne sont plus un phénomène marginal. D’autre part, ils montrent que les chrétiens et chrétiennes qui lient leur engagement à leur pensée théologique et à leur foi en pratique ont un comportement plus durable. Pour notre engagement ecclésial, cela signifie que nous devons ancrer la justice et la durabilité dans la théologie et la spiritualité, afin que les gens soient encouragés à le faire sur la base de leur foi.
Quelle est, selon vous, la mission des Églises dans ce domaine et comment peuvent-elles le faire ?
C’est une grande question. De mon point de vue, les Églises et les communautés chrétiennes ont un rôle central à jouer dans la transformation socioécologique. Grâce à notre ancrage biblique, nous pouvons, en tant qu’instruments de Dieu, participer à son action, à l’instauration de sa paix dans le monde, et provoquer un changement dans le cœur de nos semblables et au sein de la Création. La transformation socioécologique est un processus de changement radical de système de nos sociétés vers une cohabitation plus juste et en harmonie avec l’ensemble de la Création. Les Églises locales et nationales peuvent d’une part pratiquer cela dans leur vie communautaire, dans les cultes, dans leurs décisions d’achat, et servir ainsi de modèle. Mais elles peuvent aussi agir en tant qu’acteur social, en tant que « lanceur d’alerte », de « voix prophétique », en tant que moteur de bonnes idées, et médiateur dans les conflits. Jusqu’à présent, notre « unique selling point », ou notre contribution unique, a été sous-estimée : il s’agit d’une spiritualité vivante de la Création, avec une espérance, des soins pastoraux et de réconciliation provenant d’une source qui ne tarit jamais. Cela ne peut être apporté que par les Églises et les chrétiens.
D’ailleurs, il est surprenant de constater que 87,2 % (Suisse alémanique), 85,9 % (Suisse romande) et 91,4 % (Allemagne) des personnes interrogées sont plutôt ou tout à fait d’accord avec le fait que l’Église devrait s’engager pour la durabilité, car elle a pour mission de protéger la Terre. Ainsi, la majorité est d’accord pour dire que participer à la transformation socioécologique est une mission de l’Église.
Dans quels domaines les Églises et les chrétiens peuvent-ils progresser ?
L’étude a montré que le comportement socialement juste et écologiquement durable se manifeste surtout dans la sphère privée et moins publique. Les trois grands domaines dans lesquels se manifeste un comportement explicite en faveur de la justice sociale sont la discussion en famille ou avec des amis, les habitudes de consommation (par exemple renoncer à certains produits) et le don à des organisations de lutte contre la pauvreté. L’engagement direct dans une organisation, par exemple, est nettement moins important. Dans le domaine de la durabilité, les personnes interrogées agissent le plus durablement dans le contexte du recyclage et de la consommation.
Au niveau des cultes, la justice sociale et la durabilité écologique sont des thèmes présents principalement dans les prédications, donc dans des domaines cognitifs et instructifs. Ces thèmes sont moins présents dans les offres en petits groupes, qui laissent plus de place à la discussion et à la diversité didactique, ou dans la louange et les chants. Les résultats montrent qu’il existe encore une grande marge de manœuvre dans les paroisses pour une place théologique et spirituelle plus créative en ce qui concerne la justice et la durabilité.
Propos recueillis par Joëlle Misson-Tille