À la veille de la Pâque, les chrétiens du monde se préparent à se souvenir ensemble de la victoire sur le péché et la mort réalisée à la croix par Jésus. De fait, nous nous accordons à célébrer le salut apporté par le sacrifice ultime de Dieu ; Son Fils offert comme agneau parfait pour sauver l’humanité.
Nous pouvons imaginer une ville de Jérusalem en dissonance avec ce qui s’y joue ; la ville se prépare à célébrer la fête des pains sans levain, à se souvenir de la sortie d’Égypte et à louer Dieu par des chants et sacrifices. Pour autant, la préparation de la capture puis l’exécution de Jésus se déroulent en même temps. C’est un autre affrontement qui se prépare. Dans le combat décisif avec le mal, Dieu a prévu une victoire triomphante sur ce dernier.
Le mythe de la violence rédemptrice
Ce combat contre le mal, on pourrait croire qu’on le connaît. Il est dans toutes nos histoires. La grande majorité de nos films, séries ou livres, oppose un adversaire qui sème le chaos à un héros qui essaye de l’en empêcher. L’ordre, la paix et la sécurité ne sont retrouvés que quand le héros a enfin réussi à casser la figure au méchant. Et l’histoire se termine en happy end, sur le répit qui vient après la déferlante de violence des « gentils ».
Cette croyance que la violence a le pouvoir de réguler le chaos a un nom : c’est le mythe de la violence rédemptrice. Développé en 1999 par Walter Wink dans son livre The Powers That Be[1], ce mythe se résume ainsi : « en bref, le mythe de la violence rédemptrice est l’histoire de la victoire de l’ordre sur le chaos à travers la violence. »[2] Ce mythe perdure dans nos esprits, depuis les premiers récits de l’humanité jusqu’à aujourd’hui.
Pourtant, le répit du happy end de nos histoires ne doit pas être confondu avec une paix durable. L’histoire ne prend pas en compte les envies de vengeance du « méchant » ou de celles et ceux qui l’aimaient. Ni les préparatifs des autres adversaires du héros qui se sentent désormais menacés et qui vont vouloir se protéger. Ni les traumatismes des personnages qui ont assisté à cette violence. Ni même ceux du « gentil », car la violence et l’agression abiment aussi l’esprit de celui qui les exerce. Les différents éléments de cette liste rendent en fait la nouvelle situation encore plus tendue et inflammable.
Que la violence soit en réalité incapable d’arrêter la violence se constate aussi à l’échelle nationale et internationale. De fait, des études ont montré que près de la moitié de tous les pays en situation de « post-conflit » (guerre, guerre civile ou révolution violente) connaissent un retour de la lutte violente.[3] Alors que des propagandistes tentent de nous convaincre qu’il vaut mieux être les premiers à frapper pour régler le problème une fois pour toutes, et que toute l’Europe se détourne de l’aide internationale pour se préparer à l’arrivée d’une troisième guerre mondiale, il est nécessaire de prendre un pas de recul et de se rappeler que cette guerre, si elle arrive, sera la source de nombreuses autres guerres pendant les décennies qui suivront sa fin. La destruction entraîne la destruction, et le chaos entraîne le chaos.
Est-ce alors possible de combattre le mal ?
Une troisième voie s’ouvre à Pâques
Dieu dans sa nature même devait prendre une décision, par cohérence avec Sa sainteté : détruire le mal partout où il est, en sacrifiant l’humanité à laquelle le péché s’est attaché, ou le laisser perdurer, pourrissant Sa Création. Mais Il refuse l’une ou l’autre de ces alternatives et, par amour pour nous, ouvre un troisième chemin en offrant Jésus comme sacrifice parfait. « Quand le Christ meurt sur la croix, Il rassemble plusieurs gestes en un seul : il réalise le pardon de Dieu proposé à l’humanité, mais il ouvre également une nouvelle voie d’action. »[4] Cette voie d’action, plus complète que les sacrifices de l’Ancien Testament, invite à une éthique de la justice basée sur les enseignements du Christ. Le sacrifice de Jésus renverse complètement la corruption du péché. Il nous invite à le suivre, hors de la route imparfaite de notre propre sacrifice ou celui de notre prochain, sur un chemin de vie.
Jésus pourrait détruire le temple en trois jours et le reconstruire, ou faire descendre une armée d’anges pour le défendre. Mais il ne le fait pas. Avant de mourir, Jésus fait le choix de renoncer à sa puissance et son autorité de roi. Les solutions moqueuses offertes à Jésus par ses détracteurs ne sont pas sans rappeler les nôtres : « sauvons-nous nous-mêmes ! », avec les armes que nous avons, préparons-nous à tuer plutôt que de mourir.
Un appel à suivre le chemin de la réconciliation
Au lieu d’user d’une déferlante de violence sur ceux qui le menacent, Jésus donne sa vie. Il refuse d’entrer dans la logique absurde du péché afin de nous permettre la réconciliation avec notre Père. Comme l’appuie Paul dans sa deuxième lettre à l’église de Corinthe[5], nous sommes appelés à un ministère de réconciliation de la même manière que Jésus était appelé à le vivre. Cette réconciliation, par la victoire sur la mort elle-même, nous rend ambassadeurs de Sa justice et de la Bonne Nouvelle du salut qui transforme notre vie. Loin d’un rôle passif et fataliste, Jésus et les apôtres alternent encouragements à la réflexion et prise d’action, y compris dans un contexte de tensions politiques.
Si Christ est en effet la tête de notre Église, alors laissons-nous inspirer par le chemin ouvert en Jésus. Nous n’arrêterons pas la violence du monde en y participant. La vraie rédemption est tout autre. Prions pour que le Rédempteur inspire notre action politique. Laissons-nous guider par ses enseignements et cherchons avec discernement à être comme ces serviteurs dont nous parle Jésus qui attendent le retour de leur maître, en veillant sur sa maison et en travaillant chacun à son poste sans savoir quand il reviendra.[6]
Références :
[1] Walter Wink, The Powers that be: Theology for a New Millenium, New York: Doubleday Publishing, 1999
[2] Walter Wink, “The Myth of Redemptive Violence”, in The Bible in Transmission, Bible Society, spring 1999, (traduction personnelle)
[3] Voir Jackie Smith, « Economic Globalization and Strategic Peacebuilding », dans Strategies of Peace transforming conflict in a violent world, Daniel Philpott et Gerard Powers, éds, New York : Oxford University Press, 2010. Mais aussi l’excellent livre de Erica Chenoweth, Maria J. Stephan, Pouvoir de la non-violence : Pourquoi la résistance civile est efficace, France : Calmann-Lévy, 2021
[4] De Coninck Frédéric, « L’anthropologie du sacrifice » dans Rédemption et salut, La portée de l’œuvre du Christ pour la vie d’Église et pour l’éthique, Éditions Excelsis, France : Charols, 2011.
[5] 2 Corinthiens 5 : 11 à 21
[6] Marc 13 : 33 à 37
Salomé Richir-Haldemann & Salomé Streiff